Depuis la semaine dernière, j’ai amorcé ma série d’entrevues avec mon chum. Cette semaine, je vous présente la deuxième, d’une série de quatre. Elle traite de la paternité.
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François-Mathieu, aujourd’hui, on va parler de la paternité. Premièrement, penses-tu que le rôle du père est différent de celui de la mère?
À première vue, à part pour les choses techniques, comme l’allaitement, c’est pas évident. Il y a des conventions sociales, mais aujourd’hui, je pense qu’elles sont un peu éclatées. Ma mère me dit : « je trouve que tu es un bon père, parce que quand j’étais jeune, les pères ne s’occupaient pas des bébés ». C’était vraiment le domaine de la femme, puis d’un réseau de femmes. Le père venait dire « salut mon fils » ou « salut ma fille », puis il le prenait dans ses bras, mais c’est tout. Moi je considère que la mère et le père sont égaux au niveau de la douceur et ce qu’on fait, c’est pas mal pareil. Ça c’est peut-être parce qu’aujourd’hui, les genres sont un peu moins définis. Peut-être que dans d’autres cultures ou dans notre ancienne culture, on sentait qu’il y avait des tâches assignées. Les femmes s’occupaient d’une certaine sorte d’éducation et l’homme s’occupait de la discipline. Ça nous semble terriblement cliché aujourd’hui, mais il y a des endroits dans le monde où c’est encore séparé comme ça. Pour nous, les genres s’effacent.
Penses-tu qu’il reste quand même un peu de cette culture-là encore aujourd’hui?
Si ça reste, c’est que c’est un élément culturel. Moi en tout cas, je ne le remarque pas dans notre couple à nous et je ne peux pas parler tant que ça des autres couples, parce que je ne vis pas avec eux au quotidien, mais je vois plus des différences de personnalité que des différences de genres. Pour nous, notre manière d’agir avec les enfants est plus en lien avec des différences de personnalité que de genres. C’est pas à cause que tu es une femme que tu fais ça de même, c’est à cause que tu es Maude Cournoyer. Moi c’est pas à cause que je suis un gars, c’est à cause que je suis moi-même.
Est-ce que ça existe l’instinct paternel?
Je crois à l’animalité de l’être humain, c’est-à-dire que je suis un contemporain. Je crois à la théorie de l’évolution, je crois à la relation entre nature et culture, entre l’inné et l’acquis. Ça c’est peut-être des termes trop compliqués, juste pour dire ce que je veux dire, mais c’est intellectuel quand même la manière dont je prends ta question. Je crois qu’à l’intérieur de nous, il y a un besoin de s’occuper des enfants. Chez la femme, je crois qu’il y a peut-être des transformations biologiques qui amènent à des transformations sociales ou psychologiques qui sont peut-être un peu plus marquées, mais il y a des femmes qui se demandent c’est quoi l’instinct féminin. Il y en a même qui doutent de son existence. Moi je pense que ça revient à l’idée qu’on ne naît pas parent, on le devient. Par contre, on sent qu’il y a des gens qui ont tellement le goût d’être des parents, qu’ils deviennent déjà pré-formés. Tu vas peut-être trouver ça drôle comme analogie, mais c’est un peu comme des militaires. J’ai rencontré surtout des filles comme ça. Elles ont toutes préparé comment elles allaient vivre leur famille. Il y a un scénario tout fait dans leur tête. Moi, c’est jour après jour, en relation avec les enfants, que je découvre où je me positionne en regard d’eux et en regard de moi.
Est-ce que le rôle de père te plaît?
Oui, mais je croyais que c’était pour plus me transformer que ça. Ça aussi je pense que c’est un élément de personnalité. C’est pas très cute ou romantique ce que je vais dire là. Je le dis un peu en riant, mais c’est comme avoir des colocs. J’aime mes enfants et ça me touche beaucoup, chaque jour je suis plus émerveillé et je les trouve merveilleuses, mais j’ai pas eu ce que d’autres parents m’ont dit, qu’à la rencontre des enfants, qu’ils sont tombés en amour. C’est pas le même feeling que j’ai quand je tombe en amour. C’est pas passionnel ma relation avec les enfants. Je pense que c’est un plus bel amour que ça. C’est peut-être bien que ce soit pas un amour trop fusionnel, passionnel, justement. J’ai vraiment l’impression qu’elles ont leur vie à elles et j’ai ma vie à moi. Elles ont besoin de moi et c’est là que ça doit être important la relation qu’on a. Des fois j’ai l’impression qu’on oublie que les enfants, c’est pas nous. On dit nos enfants, mais pour moi c’est déjà Estelle et Béatrice Hotte, en devenir. Dans le sens qu’elles le sont déjà, mais un jour, à partir de 15 ou 16 ans, elles vont être les personnes qu’elles vont être jusqu’à la fin de leurs jours. Mon but est de les amener jusque-là. C’est une chance, une responsabilité et c’est quelque chose que j’aime, que je suis content de partager avec elles. Je sens qu’il y a un genre d’amour spécial qui commence à rentrer dans mon coeur de pierre. Ça va s’installer là et elles vont prendre beaucoup de place.
Elles en prennent déjà pas mal.
Pas mal.
Est-ce que tu aimerais avoir plus de reconnaissance pour ton travail de père? Notre papa blogueur, Mathieu Carrier, a déjà écrit un article à ce sujet. On valorise beaucoup la mère, mais peut-être pas assez le père?
Je me trouve chanceux, parce que j’en ai eu beaucoup de reconnaissance. C’est une des choses qui me font dire que je suis chanceux d’avoir une famille avec toi. J’ai réalisé à quel point tu n’étais pas le genre de fille qui tombait dans le côté un peu sectaire des femmes par rapport aux enfants. On parlait tantôt de la position du père, des choses comme ça. Il y en a qui sont encore pris dans une culture de femmes, par rapport aux enfants et qui inconsciemment et parfois, ce qui est plus grave, consciemment, tassent les hommes du monde des enfants. J’ai trouvé ça surprenant d’avoir une amie qui m’a expliqué que ça a pris du temps avant qu’elle fasse confiance à son chum pour le laisser tout seul avec les enfants. Je ne te parle pas à six mois là, je te parle à un an et demi. Il y a une culture de mère en fille comme ça. Tu sais, « Tasse-toi mononcle! Va boire ta bière dans le coin, nous, on s’occupe des enfants. » Des deux bords, il y en a qui maintiennent des clichés et c’est bien que les nouvelles générations commencent à mettre ça de côté. Ces mentalités-là sont supposées être disparues depuis une trentaine ou une quarantaine d’années et pourtant, ça persiste encore. Cette idée-là que l’homme n’a pas de délicatesse et n’est pas capable d’avoir la sensibilité ou qu’il est trop téméraire et n’a pas le sentiment du danger. Moi là-dessus, je me sens pas mal pareil à toi. Il y a pas mal de monde autour de moi qui m’ont dit que j’étais un bon père et toi, tu me dis que je suis un bon père. Ça me suffit amplement.
Et toi, est-ce que tu te considères comme un bon père?
Je ne sais pas comment évaluer ça. Des fois je trouve que oui et des fois je trouve que non. Ça dépend comment je me sens dans ma peau. Quand je ne me sens pas bien, parce que c’est une mauvaise journée, parce que j’ai des problèmes au travail ou parce que j’ai des insécurités, je me sens comme un mauvais père, parce que je suis moins présent. En même temps que je fais des choses avec elles, j’ai d’autres préoccupations dans ma tête. Je crois qu’il faut donner du temps de qualité. C’est mieux de donner un peu de temps ressenti que beaucoup de temps moins ressenti, mais avec les enfants, on ne peut pas dire ça. C’est pas comme un ami. Elles ont des besoins. Je pense que des fois, contrairement à l’amitié, on a des obligations et des fois je pense que ça ne nous tente pas de s’occuper des enfants. C’est peut-être ça être un bon parent : accepter les responsabilités avec la meilleure attitude possible.
Tu trouves ça difficile être père?
Je n’ai pas beaucoup de romantisme on dirait par rapport à l’idée d’être père. Des fois, je réalise à quel point c’est fascinant de partager sa vie avec des petits êtres comme ça, mais j’ai pas la foi. J’ai pas d’illumination. Je sens pas lumière de la transcendance paternelle. Des fois, je trouve que je n’ai pas beaucoup changé par rapport à ce que j’étais quand j’étais tout seul dans ma garçonnière.
Et c’est quoi qu’il y a de plus beau dans le fait d’être père? Qu’est-ce que tu aimes le plus dans la paternité?
C’est les responsabilités. Pour le moment, les enfants sont tellement jeunes que notre seule mission est de s’occuper de leur bien-être. Là on est chanceux, il y a des sourires et des moments de communication. Ça, c’est la paye. Si elles sont rendues là, c’est qu’on fait bien notre travail. Elles mangent, elles grandissent et elles se développent. Ce que j’aime le plus, c’est le privilège d’être proche d’elles comme ça. Dans le fond, c’est pas si spécial d’avoir des enfants. Tout le monde peut avoir des enfants. Ce que je veux dire par là, c’est que pour plein de gens, quelque chose de spécial, c’est devenir une grande star ou passer à la télévision… Tu sais, on est toujours dans l’extrême. Faudrait se marier au pied de l’Himalaya, déguisé en Bugs Bunny. Il faudrait toujours être à la recherche de grandes émotions, de spectacle extraordinaire. Les enfants dans le fond, c’est un spectacle extraordinaire, mais c’est simple en même temps. C’est au jour le jour. Il y a un quotidien qui s’installe, mais c’est un quotidien qui n’est pas monotone, parce que c’est la vie. On vient de donner la vie à des êtres humains. La vie, c’est au jour le jour. C’est pas une fois par semaine, mis en scène par Véronique Cloutier, c’est à tous les jours. Des fois c’est ennuyant, des fois c’est même difficile, mais on ne peut pas changer de poste. C’est une relation de responsabilité et je crois que ça m’aide à devenir une personne moins égoïste.
Ma dernière question, c’est : est-ce qu’un père c’est essentiel?
Non, ce n’est pas essentiel. Et dans le même ordre d’idées, une mère non plus c’est pas essentiel. La science, ça enlève beaucoup d’illusions. On a le droit à nos illusions. On construit notre famille avec nos valeurs et je ne peux pas juger les valeurs des autres, mais pour moi un enfant, c’est un organisme biologique. Ça a besoin de manger, ça a besoin qu’on lui enseigne des choses et ça a besoin d’affection. Il y a des couples homosexuels mâles, des couples homosexuels femelles, des femmes monoparentales, des hommes monoparentals, on en parle moins, mais ça existe aussi. Bref, un père, ce n’est pas essentiel et tant qu’à moi, la mère non plus. Ça peut être triste comme idée, parce que je crois qu’on a un attachement bien particulier à nos enfants et l’idée qu’on pourrait ne pas être importants pour nos enfants, c’est dur. J’aurais de la misère à croire que mes enfants n’aient pas besoin de moi. Mais en même temps, moi je te donne mon point de vue, mais regarde le point de vue des enfants. Disons une famille qui a été séparée avant la naissance, comme c’est souvent le cas, le père est parti dans la brume. Dans bien des cas, les enfants vont vouloir savoir c’est qui leur père. Même s’ils ne l’ont pas connu, il va devenir un être mythique. Alors il y a les deux côtés, finalement.
Donc, sans père, il peut y avoir un manque, mais même avec un père, il pourrait y avoir d’autres manques. Alors finalement, ça s’équilibre.
Bien oui. Nous, en occident, qui avons le temps de réfléchir sur les moindres détails de notre psychologie, on a tout le temps des manques. J’étais trop pauvre, j’étais trop riche, mon père travaillait trop, mon père restait trop longtemps à la maison, ma mère m’aimait trop, ma mère ne s’occupait pas assez de moi… On peut toujours se plaindre. Il y a toujours un manque en quelque part. Mais reste que quand même, qu’il y ait des gens qui s’occupent de nous, c’est important. On développe une affection très grande pour les gens qui s’occupent de nous. Peut-être qu’un enfant, ça n’a besoin que d’une cellule familiale en fait. Le géniteur ou la génitrice, c’est remplaçable. On n’est pas atteint de l’Esprit -Saint quand on fait des enfants.
Merci beaucoup FM pour ton franc-parler. La prochaine entrevue traitera de la relation de couple après la naissance des enfants.