Entrevue avec une jumelle

La curieuse en moi n’a pas pu s’empêcher de questionner une jumelle d’un couple (jumelle-jumeau) . Un «couple fraternel» que j’ai connu au primaire. Je vous laisse entrer dans leur monde et être ému par leur attachement un envers l’autre.  Bonne lecture!

Bonjour Sarah!  Je te remercie de vouloir répondre à mes questions afin de connaître ton vécu en tant que jumelle. Nous, les mamans de jumeaux pouvons comprendre de l’extérieur, mais voyons voir de l’intérieur ce qu’il en est d’être jumeaux.

D’abord quelques questions générales pour te connaître :

Prénom : Sarah

Prénom de ton jumeau : David

Âge  et  année de votre naissance : Nous avons 25 ans et nous sommes nés en 1987.

Vos professions : Je suis enseignante de français langue seconde et mon frère est monteur  de lignes.

Région : J’habite à Thetford Mines, dans Chaudière-Appalaches et mon frère  à St-Jean-sur-Richelieu, en Montérégie.

Enfants : Nous n’avons tous les deux toujours pas d’enfants.

Maintenant, les questions :

1-Dans la famille de ta mère y avait-il des jumeaux?

Oui. Ma mère est, elle-même, jumelle avec un garçon et la sœur de ma mère a également eu un couple de jumeaux gars/fille.

2-À quel moment de la grossesse ta mère a-t-elle su qu’elle attendait des jumeaux? Et quelle a été sa réaction ?

Elle l’a su à 20 semaines de grossesse. Elle a été surprise, car elle croyait en avoir un seul, mais pas si étonnée, puisqu’elle était elle-même jumelle. Elle savait qu’elle avait des chances d’en avoir.

3- Quand a-t-elle su votre sexe ?

Elle a su le sexe de mon frère à  la 2e échographie, mais elle ne se souvient pas exactement à quelle semaine. Elle m’a dit que c’était environ à 32 semaines.  Elle n’a pas su mon sexe avant ma naissance, car le docteur n’arrivait pas à le voir.

4-Votre naissance : comment s’est passé l’accouchement de votre mère ?

Elle a accouchée à 38 semaines 5/7. Elle était supposée accoucher naturellement, mais elle a eu une césarienne d’urgence, car le travail ne se faisait pas (elle n’ouvrait pas assez).

5-Qui est né en premier toi ou ton frère ?

Mon frère est le premier d’une minute. Ils ont sorti mon frère du ventre de ma mère à 23h08 et moi, à 23h09, le 1er juillet 1987.

6 A) À quel moment as-tu compris que tu étais jumelle d’un garçon ?

Je ne me souviens pas exactement, j’ai plutôt l’impression de l’avoir toujours su.

    B) Dans la période de l’enfance as-tu aimé être jumelle ?

Lorsque j’étais petite, je ne réalisais pas la chance que j’avais d’être jumelle. Mon frère et moi, on se chicanait très souvent. Disons que je l’agaçais beaucoup et que lui, n’était pas très patient avec moi, haha! À cette époque, j’ai souvent souhaité avoir une sœur, car je me disais qu’on aurait envie de jouer aux mêmes jeux et qu’on pourrait se prêter des vêtements…

Avec du recul, j’ai réalisé que j’avais une chance extraordinaire, parce que j’ai toujours eu un ami du même âge que moi avec qui jouer, contrairement à plusieurs autres enfants qui n’avaient pas de frère ou de sœur ou qui en avaient, mais qui étaient plus âgés ou plus jeunes, donc ils jouaient moins ensemble que mon frère et moi.  Vers l’âge de 9 ans, quand mes parents se sont séparés et que mon frère et moi avons été éloignés, j’ai commencé à réaliser à quel point mon frère était une partie de moi. Nous avons cessé de nous chicaner à cet âge, car on se voyait moins souvent et lorsque l’on était ensemble, on s’était tellement ennuyés l’un de l’autre, qu’on l’appréciait vraiment.

7-Étiez-vous complices ?

Nous étions très souvent ensemble, mais nous avions aussi d’autres amis. Par contre, dès que l’un de nous se retrouvait seul, on était incapable de s’abstenir d’aller rejoindre l’autre dans ses activités. Par exemple, si mon frère avait un ami à la maison, c’était immanquable que j’allais les rejoindre pour m’amuser avec eux (ce qu’il n’appréciait pas particulièrement et c’était la même chose pour moi, quand la situation était à l’inverse). Tel que mentionné précédemment, nous étions souvent en conflit, mais il nous arrivait tout aussi souvent d’être complice. On a toujours partagé facilement ensemble nos joies et nos peines.

8-Nous apprenons souvent que les «couples» de jumeaux, la fille «materne» son frère, l’as-tu fait ?

En effet, j’ai toujours été très protectrice de mon frère. En 2ou 3e année, j’avais même cloué au sol un garçon qui n’était pas gentil avec mon frère. De la maternelle à la 3e année (les seules années où nous avons été dans la même classe), je disais toujours à mon frère ce qu’il devait mettre dans son sac à dos à la fin de la journée. Si je ne le faisais pas, mon frère se fiait toujours sur moi pour que j’apporte les devoirs à faire à la maison et que je lui prête les miens.

9-Comment s’est déroulé votre adolescence?

Comme j’habitais chez ma mère et mon frère, chez mon père, notre lien fraternel à l’adolescence a été plus fort que jamais. Mon frère et moi, on s’appelait souvent pour se parler et je ne me souviens pas que l’on se soit vraiment  chicanés l’un et l’autre. Nous étions complices. Je me souviendrai toujours de son soutien face à mes difficultés en sciences. Nous étions assis ensemble en classe et, je ne suis pas fière de le dire, mais de nombreuses fois, mon frère me laissait observer son examen pour que je puisse en copier les réponses. Disons que, pour ma part, j’avais le côté créatif plus développé et que, pour sa part, c’était le côté scientifique. Nous n’aimions pas les mêmes choses et n’avions pas les mêmes forces et faiblesses. Nous étions très différents.

10-A) As-tu des moments ou choses à nous partager selon ton vécu de jumeaux?

En tant que jumelle, on me demande souvent s’il m’arrive de ressentir ce que mon jumeau ressent.  Bon! On ne peut pas dire que c’est nécessairement relié au fait que nous soyons jumeaux, mais il est arrivé toutefois certaines choses étranges.

– Mon frère et moi sommes très souvent malades au même moment. Ça n’arrive pas toutes les fois, mais il n’est pas rare, depuis que nous sommes enfants, que nous nous appelions au téléphone (parce que nous n’habitions pas ensemble dès l’âge de 9 ans) et que nous nous apprenions que nous étions malades. Les gastros, les grippes, la fièvre…c’était assez fréquent que ça nous arrivait en même temps et ce, même si on habitait à des kilomètres de distance! Étrange non?

– Deuxième chose, et là, je parle seulement pour moi, car je ne sais pas si c’est la même chose pour mon frère, mais, pour ma part, lorsqu’il éprouve un sentiment quelconque d’une façon assez forte (joie, tristesse, colère, etc.), c’est comme si je le vivais moi aussi (pas d’une façon aussi forte, car évidemment, il y a des limites). En fait, il m’arrive d’avoir des pressentiments pendant qu’il vit ce genre d’émotions et ça arrive souvent que je le téléphone au moment opportun pour découvrir que j’avais raison de m’inquiéter ou de ressentir un besoin de l’appeler sans trop savoir pourquoi .

Je vous donne un exemple cru, qui fut, croyez-moi, le pire sentiment de ma vie. Ce fut ma plus grosse peine, alors que ce n’est même pas à moi que c’est arrivé…

Alors que mon frère étudiait pour devenir « monteur de lignes », il a eu un accident de « travail » sur le chantier de son école. Sa main est passée dans un treuil. Elle a été dégantée et son doigt durement écrasé.  Lors des minutes précédent cette mauvaise nouvelle, j’avais un mauvais pressentiment à l’intérieur de moi, mais je ne savais pas exactement ce que c’était. Tout ce dont je me souviens, c’est que je ressentais un besoin urgent de l’appeler.  Je l’avais donc  appelé une vingtaine de fois en fin d’après-midi/début de soirée, sans obtenir de réponse. J’avais même appelé mon père pour savoir s’il avait une idée d’où pouvait bien être mon frère. C’était l’heure où il était habituellement de retour chez-lui, mais ce jour-là, il était impossible de le rejoindre. Tout-à-coup, mon téléphone a sonné. J’ai sauté sur mon téléphone et, évidemment, c’était lui à l’autre bout du fil. J’étais toute énervée de lui dire « Enfinnn, mais t’étais où?? », lorsque j’ai entendu sa voix triste à l’autre bout du fil, me disant qu’il était à l’hôpital de Lévis, qu’il avait failli perdre sa main et qu’il allait peut-être perdre un doigt.  AYOYE. La douleur que j’ai ressentie à ce moment-là est indescriptible. Évidemment, je suis partie de chez-moi en un coup de vent et je suis allée le rejoindre le plus rapidement possible. Je souffrais tellement de le voir dans cet état. La douleur a été intense et a duré tout le long des procédures menant à l’amputation d’une partie de son doigt.  Il avait un deuil à faire et c’était comme si je vivais ce deuil avec lui. Cette histoire est arrivée alors que nous avions 18 ans, alors aujourd’hui, c’est derrière nous, mais ça reste un souvenir douloureux. L’attitude positive de mon frère suite aux événements m’a permis d’éloigner mon sentiment de tristesse, car je me disais que je n’avais pas le droit d’être plus triste que lui dans cette histoire. Je suis vraiment fière de sa force face à cette épreuve qui peut paraître banale aux yeux de certains, mais qui fut difficile. Après tout, aujourd’hui, il exerce tout de même le métier qu’il a toujours voulu faire (monteur de lignes) et peu de temps après l’événement, la vie a repris son cours.  J’admire la grande détermination dont il a fait preuve pour atteindre ses objectifs et retrouver la force de sa main.

sarah et david

Sarah et son jumeau à l’aréoport avant leur départ

Pour ce qui est d’un beau moment passé entre frère et sœur, en 2011, nous avons fait notre premier voyage dans le Sud ensemble. Nous étions seulement les 2. C’est un voyage mémorable.

Sarah L.

Souper en «couple fraternel» voyage Puerto Plata

B) Qu’est-ce que ça t’a apportée d’être jumelle ?

Je crois que le fait que nous soyons jumeau-jumelle a été positif, car je n’ai pas eu à traverser la crise d’identité dont on entend souvent parler par rapport aux jumeaux identiques. Ce que j’ai aimé du fait d’être jumelle, c’est que nous étions au même niveau dans plusieurs  choses, donc il était toujours possible de s’aider. Par exemple, nous étions dans le même niveau scolaire, même niveau de natation, même niveau lors de nos premiers cours de patins. Par contre, plus on a vieilli et plus c’est devenu compliqué pour nos parents. Le fait que nous soyons un garçon et une fille et probablement aussi le simple fait que nous soyons deux êtres différents, a entraîné que nous n’étions pas intéressés par les mêmes activités. Mes parents devaient alors se séparer pour nous suivre dans nos activités. Dès 5 ou 6 ans, ma mère s’est mise à courir les entraînements, les compétitions et les spectacles de patinage artistique avec moi et mon père, de son côté, à courir les pratiques, les parties et les tournois de hockey. Parfois, les horaires faisaient en sorte que les deux parents pouvaient être au même endroit en même temps, mais c’était plutôt rare. L’été, c’était le soccer pour moi et le baseball pour mon frère. Bref, puisque nous ne sommes pas des jumeaux identiques, je crois que le fait d’être jumelle n’a pas eu vraiment d’impact particulier. Ça ressemble beaucoup aux simples frères et sœurs.

11-Décris-nous ta relation aujourd’hui avec ton frère jumeau?

Nous sommes tous les deux très protecteurs l’un envers l’autre. À notre âge, on peut davantage observer ce qualificatif dans nos réactions par rapport au choix importants de vie que l’autre fait tels que le/la conjoint(e), le travail, la ville où demeurer, les gros achats, etc… Par exemple, je veux que mon frère trouve la meilleure fille possible pour lui et lui, veut que je trouve le meilleur garçon possible pour moi. Ça entraîne parfois des conflits, car, tous deux, nous sommes portés à juger les choix de l’autre. Par contre, comme tout humain, on apprend de nos erreurs! Je crois que tous les deux, on sait maintenant que notre relation frère/sœur est très importante et que, si l’on ne veut pas la gâcher, il faut laisser l’autre voler de ses propres ailes et ce, au risque qu’il fasse des erreurs. Ce qui est difficile dans tout ça, c’est de s’imaginer que l’autre peut souffrir. Voir mon frère souffrir ou avoir de la peine pour quelque chose, ça me vire à l’envers et c’est le pire sentiment intérieur que je peux ressentir.

12-Aimerais-tu avoir des jumeaux ?

Oui et non. Oui parce que je sais que je veux au moins deux enfants et que c’est plaisant de se dire que ce serait tout en même temps. J’aimerais aussi que mes enfants aient la chance de vivre ce lien si fort que j’ai eu avec mon frère. Non, parce que j’ai vu à quel point mes parents ont dû courir de tous les côtés pour nous élever.  Je sais aussi que ce serait plus dispendieux que ce qui serait prévu. En étant un garçon et une fille, c’est plus rare que l’on s’adonne aux mêmes activités.

Sarah, je te remercie de nous avoir donner une vision de la vie intérieure en tant que jumelle-jumeau. Je te souhaite de conserver ce lien unique que tu as avec ton frère.

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